Hayao KAWAÏ : Le Bouddhisme et l’art de la psychothérapie

2015, La Fontaine de Pierre – ISBN 978-2-902-70753-

D’emblée, dès l’Avant-propos et le Prologue de ce livre, nous comprenons l’évidence que la double culture de l’auteur — japonaise et « occidentale » — lui permet de plonger dans les racines profondes de son sujet annoncé dans le titre : le rapport dans son for intérieur entre d’un côté le Bouddhisme et de l’autre, sa pratique de l’art de la psychothérapie. Je dis « évidence », car il me semble en effet évident que vivre, porter en soi, deux cultures aide à mettre en relief la particularité et la singularité de chacune des deux.
Le Bouddhisme et l’art de la psychothérapie est l’histoire d’une individuation. Le chemin du « psychothérapeute » Kawaï commence par le rejet et du Bouddhisme et de son pays. Il quitte le Japon pour faire ses études de psychologie aux États-Unis où il trouve son premier analyste jungien qui — comme par hasard — lui fait connaître, chemin faisant, une série de dessins bouddhistes qui tiendra une place importante dans la suite de sa vie, comme dans ce livre. Après les États-Unis, Kawaï fera sa formation d’analyste à Zürich avant de retourner pratiquer la « psychothérapie », ainsi qu’il l’appelle, au Japon. Kawaï a tenu une place particulière et singulière dans l’histoire de la psychologie analytique, ayant été le premier à l’introduire au Japon.
Les questions que se pose Kawaï dans ce livre sont socratiques : Qui suis-je ? Que suis-je ? Qu’est-ce que je ? Au cours des réponses qu’il propose, nous voyageons dans une rencontre et une confrontation entre l’Orient et l’Occident, et dans leurs manières respectives de considérer ces questions.
Kawaï confronte en effet les épistémologies occidentale et orientale, en y tissant ses expériences personnelles de japonais et de « bouddhiste malgré lui », un bouddhisme « culturel » qu’il trouve endormi au fond de lui-même, non sans une certaine ambivalence. Chaque question qu’il explore considère les perspectives orientale et occidentale, par exemple lorsqu’il parle de la conscience. Il évoque un « choc culturel » qui l’avait « profondément ébranlé » lorsqu’il avait rencontré « la conscience occidentale ». Il écrit :
« Pour un japonais, il est plutôt effrayant de tomber sur le moi occidental, lequel se développe comme une entité indépendante, comme totalement distinct de tout ce qui n’est pas “je” (c’est-à-dire tout le reste). Les Japonais présupposent un lien — avec les autres, avec tout le reste — ils voient l’Un. Ils développent le moi sans rompre ce lien. (…) Le moi occidental a clairement et fortement une fonction permettant de “couper”, de séparer chaque chose. À l’inverse, le moi japonais a la force de supporter, de “contenir” sans “couper” » (page 30). Kawaï donne ensuite des exemples, personnel et clinique, qui illustrent ces propos.
Tout au long du livre, Kawaï suit ce processus de confrontation des concepts oriental et occidental ; il propose toujours une synthèse possible entre les deux mondes nous montrant sa manière d’avoir pu contenir et vivre les deux façons d’être, aussi bien en ce qui concerne les cultures et les concepts que dans sa pratique. Particulièrement intéressant est le quatrième et dernier chapitre où il élabore ses réflexions et son expérience du transfert qu’il appelle « les relations personnelles et impersonnelles en psychothérapie ».
Quant à la série d’illustrations qui est devenue si importante dans la vie de Hayao Kawaï, on pourrait presque dire qu’elle lui sert d’ancrage dans son cheminement, et elle est au cœur de ce livre. Il l’avait découvert, comme je l’ai dit, grâce à son premier analyste en Californie à un moment où il pensait encore que le Bouddhisme ne le concernait que très peu ou même pas du tout. Ce n’est que peu à peu, chemin faisant, qu’il a reconnu à quel point cette série représente aussi ce que Jung avait découvert dans ses recherches alchimiques : un processus de transformation psychique exprimé symboliquement, et de surcroît représenté ici par des images et une histoire illustrant le développement dans la pratique zen. La série s’appelle « Dix Illustrations de l’apprivoisement du buffle ». Son origine n’est pas connue, mais les images « se sont largement répandues en Chine et au Japon » depuis au moins le 12e siècle. La bonne moitié du livre de Kawaï consiste en une présentation des images et de l’histoire avec des commentaires approfondissant les interprétations possibles, que l’auteur relie à sa vie et à sa pratique de la « psychothérapie ». En parallèle, Kawaï juxtapose très justement la série aux images alchimiques du Rosarium philosophorum et au texte de Jung sur La Psychologie du transfert, encore un exemple de confrontation et de mise en relief des cultures japonaise et occidentale.
D’autres concepts élaborés de cette façon sont l’anima, le suicide, le moi ou plutôt le je, l’interprétation des rêves, ou bien même « l’éveil de la foi ».
Le lecteur ne sera pas déçu par ce livre qui a, me semble-t-il, une très grande pertinence aujourd’hui étant donné les rapprochements entre la pensée bouddhiste et celle de l’Occident, tout comme entre les pratiques de la psychologie des profondeurs et celles dites contemplatives.


Publié par Galbert (de) Leslie le 24 février 2017 dans Recensions de livres