Claude BOURREILLE : Types psychologiques et processus d’individuation

2013, Le Martin-pêcheur/domaine jungien, ISBN 2954509600

Dans son introduction, l’auteure souligne que « Les Types Psychologiques contiennent en germe toutes les idées majeures, les modes de pensée et méthodes qui se déploieront dans les œuvres ultérieures » (p. 33).
Elle insiste sur le processus de création.
« C’est cet aspect qui, dans l’étude que je propose, a retenu mon attention » (p6).
Elle annonce qu’elle suivra le cheminement de Jung et les liens avec sa vie réelle, car Jung « ne sépare pas sa vie de son œuvre ».
« Les Types Psychologiques, nés dans les conflits, se trouvent au principe de l’œuvre et de la quête d’individuation. Ils constituent en quelque sorte les prolégomènes de l’ensemble de cette œuvre dont ils sont l’introduction » (p20).
Elle montre comment on peut suivre deux niveaux de lecture, intellectuelle et psychologique et un autre niveau plus expérimental, qui décrit un processus de création (celle d’une œuvre ou de soi-même dans l’individuation).
« Ainsi compris Les Types Psychologiques se présentent comme une démarche poétique au sens étymologique du terme. Jung parlant de création fait œuvre de création » (p. 22).
Les chapitres 2, 3,5 et7 reprennent les types dans l’histoire de la pensée de l’antiquité à nos jours :
Chapitre 2 : Les types dans l’histoire de la pensée.
On y trouve les deux tendances dominantes : la pensée orientée vers l’objet (réalité véritable) ou vers l’idée, l’expression juste de ce qui se donne à connaître ou tendance intellectuelle et tendance sensible.
Ce long cheminement historique aboutit à la question de sacrifice, à l’idée féconde de tension des opposés, à la compensation, à « cette idée majeure dont toutes les recherches et les livres de Jung seront la réalisation, à savoir que ce que veut la vie, c’est l’union des contraires, tel un mariage difficile… » (p.30), et à la fantaisie et la place que lui accorde la science psychologique, fantaisie « dont nous percevons que sous sa forme créatrice, conduisant à l’union des opposés, elle est l’objet de la recherche que mène Jung, son véritable enjeu » (p. 31).
Chapitre 3 : « Barbarie et processus de création ».
(Considérations à partir de l’œuvre de Schiller)
Où trouver une solution à la barbarie liée à l’unilatéralité du développement individuel et collectif ? Les forces de création peuvent-elles surmonter celles de destruction ? Et finalement n’y a t il pas entre les deux un lien nécessaire ? » (p. 35)
Chapitre 5 : « De l’esthétique à l’éthique à travers les mythes d’Apollon et Dionysos »
(à partir des œuvres de Nietzsche et Goethe)
Dans l’opposition Apollon/Dionysos, le conflit des opposés est d’une puissance extrême. Pour Jung, l’esthétique ne peut être la solution, car elle n’engage pas par rapport au conflit. Jung insiste. C’est une question religieuse, c’est à dire d’ordre éthique.

Chapitre 7 : « Poètes et mystiques, prophètes de la création ».
Jung fait appel à un poète, Spitteler. Avec Prométhée, « celui qui pense avant » et Epiméthée « celui qui agit et pense après », le conflit est ramené au cœur de l’individu, deux en apparence, représentant les deux tendances à l’intérieur d’un même individu.
Jung convoque dans ce chapitre nombre d’autres poètes et mystiques, sa façon de tourner autour de l’âme et du processus de création. C’est le chapitre le plus long, et d’une complexification croissante.
Quelques citations pp. 83 et84 :
« Chez Jung, il ne s’agit pas d’analyser les causes pour expliquer tel ou tel phénomène, telle ou telle situation, mais d’entrer dans des processus dont les contenus sont dans des rapports d’implication…. Le processus n’est pas seulement cognitif mais sensible puisqu’il ne concerne pas les processus de l’intelligence mais les attentes de la vie qui cherche à s’accomplir…. La pensée de Jung n’est pas une pensée de progrès mais une pensée de croissance à partir de ce qui est […], avec la métaphore de l’inconscient, matrice originaire.
« Le conflit (en rapport avec le concept d’énergie) n’est pas une donnée accidentelle, quelque chose dont on pourrait, avec un peu de sagesse et d’équilibre, faire l’économie. Le conflit est fondamental et fondateur. C’est lui qui inaugure toute la dynamique de la psyché dans son processus créateur….Il est le mouvement même de la vie… »
Les chapitres 4 : « Un symbole verbal » et 6, « De l’esthétique à l’éthique. Quelques séquences d’un parcours analytique ».
Ils donnent des moments de travail clinique qui illustrent ce dont il a été question dans les chapitres précédents avec clarté, économie et subtilité. On y rencontre le travail de la pensée et du sentiment, la richesse de l’analyse.
Les chapitres 8 : « L’introversion et l’extraversion » et 10 : « Les Fonctions »
décrivent et définissent de façon détaillée les concepts utilisés depuis le début du livre.
Claude Boureille dit : « Pourquoi avoir tant tardé à faire cette étude, qui, pourtant avait donné son point de départ conscient à la conception et à la réalisation de ce livre ? Il faut chercher la réponse à cette question dans ce qui constitue la caractéristique psychologique propre de Jung…. C’est l’intuition qui le mène, une intuition de type introvertie… Ainsi voyons-nous Jung procéder par le jeu des libres associations qui le conduisent par approches successives à faire émerger ce qui mobilise avant tout son intérêt, la création….. L’urgence c’est de permettre à la découverte en train de se faire d’avancer à travers les obscurités rencontrées. L’analyse rationnelle reprendra ses droits le moment voulu (p. 103) ».
Deux remarques :
- Il est difficile de distinguer l’attitude typique (le mode d’organisation du psychisme) du comportement (ce qui est manifestation extérieure) ;
- La séparation radicale entre les deux dimensions est impossible et serait même désastreuse. Les deux attitudes sont dans un rapport dynamique et mouvant.
Le chapitre 9 : « Rôle de l’introversion dans la phase de régression » et le chapitre 11 : « Jeu de masques ou mise en scène des conflits ? »
Ces deux chapitres me semblent ouvrir une réflexion singulière et toute personnelle et éclairer comment l’auteure a cheminé avec la pensée de Jung à travers Les Types Psychologiques.
Quelle est l’origine du processus au cours duquel les deux attitudes entrent en confrontation ? Pour Jung ce processus est orienté par la quête du sens. D’où la question du sujet de cette quête.
La position du sujet nécessaire à la connaissance donne à l’introversion une signification particulière qui ne se confond pas avec ce qui serait une simple attitude face aux contenus intérieurs de la psyché. Elle est, dit Jung, la structure psychique du sujet, avant tout développement d’un Moi (le sujet qui en constitue le fond est le soi).
L’introversion est la structure psychique du sujet, elle suscite le mouvement de régression de la psyché.
L’agent déclenchant de cette régression est la fonction que Jung appelle fonction inférieure parce qu’elle est la plus inconsciente.
Et le chapitre 11 introduit la Persona dans un double mouvement :
- Etablir un rapport avec les autres (imitation d’un modèle )
- Se trouver (imitation de soi)
« L’étude de la persona dans une perspective jungienne, […] fait apparaitre une face extérieure tournée vers le conscient, les autres, et une face intérieure, tournée vers l’inconscient, qui, derrière le masque se démasque , d’où la question du titre de chapitre.
Ces deux chapitres sont un exemple de la richesse, la complexité et pourtant la clarté de la pensée de l’auteure, qui semble être reliée au sentiment, au sensible et à l’écoute de son intuition.
C’est, me semble-t-il un des livres les plus clair sur la pensée et l’œuvre de Jung.


Publié par Lovering Catherine le 24 février 2017 dans Recensions de livres