Émile ROGÉ : Psychiatrie jungienne : Attitudes et fonctions du moi dans les états psychotiques

Le Martin Pêcheur, Édition C.G. Jung – 2019 – ISBN 979-10-96164-00-4

Émile Rogé, médecin psychiatre proche d’Henri Ey et psychanalyste jungien, a développé une conception très personnelle de la psychose. Comme le souligne Aimé Agnel dans sa présentation du livre, « C’était un homme qui n’était d’aucune chapelle, très ouvert aux diverses théories psychiatriques et psychanalytiques, très éclectique ».

De sa lecture de Jung et de sa pratique, Émile Rogé retient quelques points forts :
• l’inconscient n’est pas psychotique mais sain et source de créativité
• c’est du moi que vient le trouble et c’est lui qu’il faut traiter • le moi et l’inconscient sont dans un rapport de compensation
• et pour soigner, il faut « établir ou rétablir à tout prix et le plus vite possible une position dialectique entre le conscient et l’inconscient » (p. 20). C’est une confrontation dynamique.

Des Types psychologiques de Jung, il reprend les deux attitudes (dimensions) possibles du moi : introversion et extraversion. Chacun choisit l’une ou l’autre, même si l’autre n’est jamais complètement absente. Elles évoluent par polarités opposées. À ces deux dimensions s’ajoutent quatre fonctions d’adaptation du moi : la pensée et le sentiment, la sensation et l’intuition, là aussi par paires et opposées. Le moi se construit par une fonction première, dominante, par exemple : la pensée est dominante, le sentiment est indifférencié. Avec la maturation et le travail sur soi, les pôles opposés deviennent, paradoxalement, complémentaires, ce qui amène enrichissement et accroissement de la conscience.

L’important c’est la dialectique, le mouvement et le jeu entre ces dimensions et fonctions. Il s’agit toujours d’énergie et de la circulation de cette énergie. « Toute attitude permanente et unilatérale est pathologique », souligne-t-il (p 56). Dans l’énergie, on retrouve aussi ces deux opposés. É. Rogé parle d’un doublet énergétique, concret et abstrait, biologiquement énergétique ou/et psychologiquement énergétisant.

Se basant sur ces trois points - attitude/dimension, fonctions et énergie - il décrit les différents états psychiatriques : immaturité affective, névrose, psychonévrose et psychose.

« Une fonction refoulée pose une question ou un problème, deux fonctions refoulées et c’est l’installation d’une névrose ; trois fonctions refoulées et c’est l’irruption d’une psychose » (p. 38).

« Dans cette conception qui accorde une telle importance à la dialectique entre conscient et inconscient, l’unilatéralité des attitudes et des fonctions est le signe d’une pathologie lourde qui est la conséquence d’une coupure dramatique du moi avec l’inconscient. » (A. Agnel)

Le rôle du thérapeute est essentiel, exigeant, quelquefois dangereux.

Évoquant comment faire/être face au délire psychotique, qui, pour lui est invention et créativité, É. Rogé dira « que cela implique de la part du thérapeute un formidable effort. C’est peu à peu apprendre la langue de ce délire, puis entrer dedans, s’y associer pour casser la fonction dominante « qui avait refoulé les trois autres ; on s’associe au délire pour contrebattre à deux, le malade et le thérapeute. En même temps il faut être capable, au niveau conscient, vis-à-vis de cette fonction consciente (...) de développer une argumentation aussi puissante que celle de la fonction régnante qui avait refoulé les autres… » (p.250).
C’est un livre surprenant, déroutant, stimulant et généreux, qui nous sort de nos habitudes et des chemins tracés, qui demande accueil, ouverture et l’engagement du lecteur.

Et maintenant, bonne lecture.


Publié par Lovering Catherine le 15 décembre 2020 dans Recensions de livres